Dans l’un des croquis préparatoires à sa collection « Mon Cirque » (2006), Jaime Hayon imagine un personnage au sourire sarcastique : un arlequin ? Un autoportrait ? Chaussé de bottines pointues et vêtu d’une combinaison à pois, il pointe deux pistolets à eau vers des figurines circassiennes : des vases devenus personnages, des clowns métamorphosés en lampes, des pieds de table changés en pagodes...
Dans l’un des croquis préparatoires à sa collection « Mon Cirque » (2006), Jaime Hayon imagine un personnage au sourire sarcastique : un arlequin ? Un autoportrait ? Chaussé de bottines pointues et vêtu d’une combinaison à pois, il pointe deux pistolets à eau vers des figurines circassiennes : des vases devenus personnages, des clowns métamorphosés en lampes, des pieds de table changés en pagodes. Au-dessus de sa tête masquée, une bulle en forme de coeur résume la menace : «Let’s play now». À nous de jouer maintenant !
Cette injonction délicieuse, malicieuse, généreuse parcourt l’ensemble de la production de Jaime Hayon, qu’elle soit à pratiquer de manière littérale avec les jouets Toy2R (2002) ou à comprendre de manière plus métaphorique dans la plupart de ses créations. Depuis Mediterranean Digital Baroque, ensemble de «jeux d’adultes » en céramique qui le fit connaître en 2003, Jaime Hayon, designer espagnol né en 1974, formé à Madrid au design industriel, membre incontournable de la Fabrica de Benetton et d’Oliviero Toscani entre 1997 et 2003, à la tête de son propre studio depuis 2000, a fait du plaisir, de l’humour et du bien-être visuel comme physique sa marque de fabrique : celle d’un design de l’hybridation et de la profusion mais aussi de la maîtrise technique et de la cohérence, de la ligne noire et de la forme baroque. «Serious fun», écrivait Sue-an van der Zijpp à l’occasion de sa rétrospective Funtastico en 2013-2014 au Groninger Museum de Groningen (Pays-Bas). «Amusante étrangeté», pourrait-on ajouter pour décrire l’ampleur de ses activités : de l’édition de design pour Fritz Hansen, B.D. Barcelona ou Magis à la création de séries limitées pour Baccarat, Bosa Ceramiche et Lladro, de la réalisation de pièces uniques monumentales comme The Tournament, gigantesque jeu d’échecs installé en 2009 sur Trafalgar Square à Londres, aux projets d’aménagements intérieurs (Camper Shop, Tokyo, 2009 ; restaurant Le Sergent recruteur, Paris, 2013 ; Fabergé Salon, Genève, 2010).
Pour sa première collaboration avec la Galerie kreo, après la création en 2014 de la collection de miroirs animaliers «Carnival Series», Jaime Hayon a conçu une collection inspirée, pour la première fois, par l’univers du sport – un univers profondément ancré dans l’ADN de la Galerie kreo, Clémence et Didier Krzentowski ayant notamment participé à la production des Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville en 1992. Comme lorsqu’il met en scène la faune, la flore, les mondes du cirque ou des jeux, s’inspirer du sport permet au designer espagnol de donner vie à des créations ludiques, cartoonesques, qui se jouent tout à la fois de l’hybridation, du travestissement et des jeux d’échelle. L’univers sportif constitue surtout un formidable vivier de formes, de couleurs et de motifs – les lignes graphiques des terrains de sports, les arrondis de l’aérodynamisme, l’ergonomie des structures – souvent combinés, comme lorsque la Golf Side Table réinterprète le motif et la texture de la balle de golf pour un bout de canapé en marbre de Carrare.
Comme souvent chez Jaime Hayon, chaque pièce répond à une vision précise – «Je souhaite geler un moment de mon imagination» écrivait-il en 2013 –, invite à un scénario d’usage, précisément élaboré. Si ses créations sont toujours joyeuses et ornementées, elles résultent également toujours d’une conception rigoureuse et sensible dans leurs attendus et productions. C’est le privilège des créateurs talentueux que de ne jamais faire sentir l’effort de leur travail, seulement la part du jeu et du plaisir.
« L’essentiel, c’est de participer », professait Pierre de Coubertin, le fondateur des Jeux Olympiques : « l’essentiel, c’est d’imaginer » proclame les créations du Game on. Ainsi, le lit de jour Sled Sofa s’amuse-t-il de sa ressemblance avec une luge ou un bobsleigh pour contenir dans un seul objet, presque oxymorique, l’appel au repos et la sensation de vitesse. Le cabinet Podium invite quant à lui à hiérarchiser notre art du rangement tandis que le miroir Ping Pong Hanger paraît sortir d’une hallucinante gigantomachie olympique. Bien plus, à cette appel bienvenu à l’imaginaire se superpose avec force l’attrait pour la technicité du «mobilier» et du vocabulaire sportif : la recherche d’une ligne, d’une efficacité, d’une exigence qu’avec sa science aiguë de la métamorphose Jaime Hayon parvient à transposer dans la fonctionnalité assumée des pièces réunies ici. Les disciplines convoquées – la gymnastique pour Trapeze Light, le ping-pong pour Ping Pong Table, les sports collectifs pour les Sport Lights et la Basket Side Table – leur confèrent une efficience réelle à laquelle Jaime Hayon fait subir un dernier twist : l’emploi de ces matériaux artisanaux et traditionnels qu’il affectionne (la céramique, le bois, le marbre, le verre soufflé, le cuir) plutôt que le recours évident aux matériaux composites et high tech d’aujourd’hui. Le décalage perpétuel.
Imaginez un monde où les choses ne seraient plus simplement ce qu’elles sont, ce que nous leur avons assigné ; un monde où elles seraient ce qu’elles auraient envie d’être ; ce monde, c’est celui d’Alice, la fille de Lewis Carroll et de générations d’enfants rêveurs ; ce monde, c’est celui où un fer à repasser se coiffe du chapeau de Lautréamont, où le trapèze d’une gymnaste s’éclaire d’un néon industriel – où votre plafonnier minimaliste accueille vos fantasmes d’équilibriste (Trapeze Light). Ce monde, c’est celui dans lequel Jaime Hayon évolue depuis plus de dix ans désormais, dans une approche ouverte et non autoritaire de sa discipline, où la quête de l’ornement et la qualité cartoonesque de la ligne s’allient généreusement à l’usage de matériaux nobles, comme dans ce dynamique Game on simultanément ludique et fonctionnel, technophile et surréaliste.
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Clément Dirié